Exploitation des données obscures de la CAO pour construire des jumeaux numériques
Comment une société de développement de logiciels d'ingénierie a relevé l'un des principaux défis auxquels sont confrontées les initiatives de conversion de la CAO au SIG.
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CATÉGORIE : ingénierie d'entreprise
Cet article, écrit par Gavin Schrock, a été initialement publié dans GoGeomatics
10 novembre 2023
En théorie, la collecte de caractéristiques à partir de dessins techniques pour alimenter et compléter le SIG devrait être assez simple. Or, la réalité est tout autre. Si les lignes et les symboles des dessins de CAO, qui se distinguent par des niveaux (ou couches) et des cellules (ou blocs), sont présentés dans un cadre de référence spatial, ils devraient pouvoir être transposés sans problème dans un schéma de SIG. On dit souvent que le diable est dans les détails, mais dans le cas de la CAO traditionnelle, le diable peut se cacher dans l'incapacité à reconnaître les détails.
« Les normes de CAO ne sont pas toujours respectées à la lettre et elles évoluent », explique Mark Stefanchuk, directeur de la technologie chez Phocaz Inc. « Par exemple, avant 2000, les niveaux étaient numérotés, puis ce format a été remplacé par des noms de niveaux. Les concepteurs ont tendance à ne pas utiliser les normes de CAO, surtout quand ils sont pressés. Nous avons déjà connu des situations où les concepteurs ramenaient les cellules à leurs éléments de base (lignes, cercles, zones de texte, etc.), ou bien ils les regroupaient et nous perdions l'attribution que nous préférerions conserver. »
Il y a parfois des divergences entre les firmes de conception sous contrat, des projets financés qui exigent des normes différentes et des pratiques qui évoluent en matière de dénomination des niveaux/cellules. Par exemple, certaines entités d'ingénierie ont étoffé les normes pour faire la distinction entre les caractéristiques purement conformes à la conception ou à la construction (ou dessins d'enregistrement). « Ainsi, pour faire évoluer à nouveau les normes de CAO, nous devrons trouver un moyen de passer de ce qui existait il y a plusieurs années à ce qui existe aujourd'hui et à ce que nous voulons instaurer à l'avenir », a indiqué M. Stefanchuk. « C'est le cas dans pratiquement toutes les organisations, mais certaines ont un meilleur contrôle de leurs normes que d'autres. Il est certain que pour les clients du secteur des transports, par exemple, nous constatons des anomalies d'un projet à l'autre, notamment la désintégration ou l'explosion de cellules. »
Données obscures
« L'une des questions qui revient souvent lors des discussions sur la migration CAO-SIG est de savoir pourquoi on voudrait travailler avec des données héritées, a expliqué Mary A. Ramsey, associée fondatrice et PDG de Phocaz Inc.
Nous pensons, à l'instar de nos clients, que quiconque possède des données héritées a investi des sommes considérables, voire des millions de dollars, pour obtenir ces données en premier lieu. » Il peut s'agir d'un investissement colossal, des décennies de créations de CAO enregistrées. Il semble donc logique d'essayer de tirer le maximum de ces enregistrements.
« Dans le cas des départements des transports (DOT), c'est l'argent des contribuables qui a été injecté. Un investissement considérable dans ces actifs numériques a été réalisé, il faut maintenant en tirer davantage de bénéfices. Il est donc nécessaire de commencer à analyser les données qui s'y trouvent. Certains éléments ne peuvent pas être extraits automatiquement par le nom de niveau ou de cellule par exemple. Ce sont les "données obscures". Pourtant, il s'agit du dessin lui-même, en tant que géométrie. Imaginez la valeur de ces données si on pouvait les extraire entièrement ». Actuellement, les données obscures font couler beaucoup d'encre. Dans le contexte de l'infrastructure, les données obscures sont précieuses, mais ne sont pas facilement accessibles en raison de l'évolution des conventions relatives aux données, du non-respect des normes, d'une dépendance excessive à l'égard des connaissances institutionnelles ou d'une mauvaise gestion des données. L'IA, elle, offre de nouvelles méthodes d'exploitation de ces données. C'est l'approche que Phocaz a adoptée pour extraire les données obscures qui se cachent dans les archives de CAO de ses clients du secteur des transports.
Une autre question se pose : pourquoi ne pas utiliser la cartographie mobile et les drones ? La collecte de données par drone et par cartographie mobile a connu une évolution remarquable ces dernières années. Des progrès ont été faits en matière d'exactitude, de précision de positionnement, d'automatisation de la reconnaissance des caractéristiques et de simplification des opérations sur le terrain. Toutefois, le fait est que l'enregistrement de dizaines de milliers de kilomètres de corridors autoroutiers coûterait des millions de dollars et que, même avec un tel investissement, ces technologies ne permettraient pas de capturer toutes les caractéristiques. Les coûts irrécupérables des décennies de conception CAO et de dessins enregistrés constituent une ressource potentiellement rentable à exploiter pour alimenter/augmenter considérablement le SIG d'une entreprise (en passe de devenir des jumeaux numériques).
Amélioration de la productivité
« Nous avons créé Phocaz pour fournir des services de développement de logiciels, principalement dans le domaine de la conception assistée par ordinateur, a précisé Mme Ramsey, spécifiquement pour les utilisateurs de solutions de génie civil ; Civil 3D, MicroStation et OpenRoads de Bentley (InRoads à l'époque), etc. En somme, nous développions et entretenions des modules complémentaires pour nos clients qui fonctionnaient sur ces plateformes et produits de base. Nous poursuivons ce type d'activités aujourd'hui, souvent pour les DOT, ainsi que pour d'autres clients dans le domaine de l'infrastructure. »
Lorsqu'un client de longue date, le département des transports de Géorgie (GDOT), s'est adressé à Phocaz à propos de leur solution de passage de la CAO au SIG, l'entreprise s'est posé la question suivante : est-il possible de collecter les données d'un fichier CAO, d'automatiser l'extraction et d'intégrer le tout dans notre SIG ? C'est ainsi qu'est né ce que le GDOT a nommé CLIP, qui vient de « CAD Level Integration Process » (processus d'intégration au niveau de la CAO). Phocaz a d'abord identifié les outils existants, dont certains se trouvaient dans l'environnement CAO, qui ont été conçus à cette fin. « Nous nous sommes rapidement rendu compte que ces processus étaient un peu lents et qu'ils n'auraient pas été pratiques vu l'ampleur des archives CAO que le DOT souhaitait exploiter. Sans parler de la gestion de la production ni de l'immense quantité de données générée. »
Pour répondre aux besoins du GDOT et d'autres clients d'infrastructure à grande échelle, la solution devait être évolutive. « Par exemple, le GDOT gère des axes routiers d'une longueur de 80 000 miles, a expliqué M. Stefanchuk. Cela représente environ un tiers des routes de l'État, c'est-à-dire probablement plutôt 250 000 miles de voies dans l'État. » La Géorgie n'est pas le seul État à avoir la possibilité (et la difficulté) d'« extraire » autant de kilomètres de fichiers CAO d'autoroute. Il suffit de voir le nombre total de kilomètres de voies pour chacun des 50 États. Phocaz a commencé à développer des algorithmes alimentés par l'IA, a adopté une approche de jumeau numérique et a utilisé ProjectWise de Bentley Systems pour la gestion des données et de la production.
La voiture-robot virtuelle
Au départ, l'idée était tout simplement de balayer les dessins de CAO pour trouver les caractéristiques les plus faciles à reconnaître à l'aide des noms de niveau et de cellule. Mais il s'est avéré plus efficace d'emprunter une seule fois les « voies numériques » en extrayant toutes les caractéristiques.
L'idée était de faire en sorte que l'IA examine le dessin en progressant le long des voies et en capturant les caractéristiques au fur et à mesure. C'est un peu comme si vous conduisiez sur chaque voie avec un véhicule équipé d'un système de cartographie mobile par imagerie/LiDAR (mais pour une fraction de son coût). Cependant, pour que la voiture IA puisse commencer son parcours, un environnement spatial cohérent est de mise. Heureusement, comme l'exprime M. Stefanchuk, l'approche de la conception CAO a consisté à travailler sur un modèle, à extraire les références et à découper les feuilles à partir de ce modèle. Ainsi, dans presque tous les cas, le dessin peut être « parcouru ». Dans le cas des clients du DOT qui travaillent dans un environnement DGN (MicroStation), le choix de ProjectWise de Bentley s'est avéré particulièrement adapté à la gestion des dessins, de la progression de l'extraction et des données obtenues.
Applications futures
Ainsi, pour faire évoluer à nouveau les normes de CAO, nous devrons trouver un moyen de passer de ce qui existait il y a plusieurs années à ce qui existe aujourd'hui et à ce que nous voulons instaurer à l'avenir.
— Mark Stefanchuk
ProjectWise est une suite de gestion de projet de Bentley Systems qui sert de hub de données provenant de plusieurs disciplines et dans différents formats, tout au long du cycle de vie du projet, et qui permet de travailler dans un environnement de jumeau numérique. Comme nombre de leurs clients du secteur des transports travaillent principalement dans un environnement Bentley (par exemple, DGN, MicroStation et progiciels de conception connexes), il s'avérait judicieux de gérer les projets CLIP dans cette suite.
« La voiture CLIP, ou voiture-robot, comme nous l'avons appelée, est un outil de session de visualisation qui nous permet de comprendre comment fonctionnent nos algorithmes, a déclaré M. Stefanchuk. Les utilisateurs finaux ne verront jamais cette étape-là. » Pourtant, je dois dire que c'était amusant de voir la voiture-robot dans une démonstration. « Ce qu'ils veulent voir, en fin de compte, ce sont les graphiques relatifs à la voie principale et ses caractéristiques dans l'environnement SIG et les propriétés qui leur sont attribuées. »
Afin de déterminer quelles sont ces propriétés en tout point donné de l'autoroute, Phocaz a développé un outil qui permet de rechercher et de trouver ces caractéristiques. L'IA est entraînée par rapport aux différents aspects spatiaux des caractéristiques, comme le marquage des pistes cyclables (qui peut varier considérablement d'un comté à l'autre), et applique d'autres règles, comme la distance nécessaire pour couvrir la largeur standard de l'emprise. « Nous avons dû conceptualiser et visualiser ce que nous voulions que les algorithmes fassent, a déclaré M. Stefanchuk. Nous avons imaginé une route sinueuse de campagne, la façon dont nous conduirions sur cette route dans le monde physique et ce que nous pourrions voir par les vitres avant et latérales. Ensuite, nous avons réfléchi à la façon d'apprendre à l'IA à "parcourir" les voies CAO canalisées et à tirer des enseignements de ce qu'elle serait susceptible de voir. »
« Les avantages de la voiture-robot/CLIP sont multiples, a poursuivi M. Stefanchuk. L'un d'eux est que nous n'avons pas besoin de collecter toutes les données en même temps, mais seulement ce que nous voyons à un moment T, prendre des décisions basées sur ces données, les garder de côté jusqu'à ce que nous soyons prêts à en rendre compte, puis continuer à avancer sur l'autoroute. Lorsque nous rencontrons des éléments comme un marquage de chaussée, nous pouvons utiliser des modèles visuels d'IA pour comprendre ce que ce marquage représente. »
« Ce que nous avons appris avec le projet CLIP, c'est que nous pouvons partir d'un symbole, comme une flèche de virage à droite ou à gauche, et entraîner l'IA à le détecter, a ajouté M. Stefanchuk. Nous pouvons aussi prendre des décisions en fonction de ce que nous pouvons en déduire, comme le type de voie sur laquelle nous roulons (voie de virage à droite, voie de transit, voie de virage à gauche, voie de demi-tour, etc.). »
Phocaz ne s'est pas concentré uniquement sur le marquage des chaussées. Avec la même méthode que pour le marquage de chaussée, ils peuvent créer un modèle d'apprentissage automatique pour n'importe quelle cellule de n'importe quelle bibliothèque de cellules. « Notre cerveau d'IA est un modèle d'apprentissage automatique (MLM), a expliqué M. Stefanchuk. Notre logiciel, une application distincte de CLIP (appelée Phorz AI), guidera l'utilisateur dans la création de son propre MLM à partir d'une ou plusieurs cellules (symboles) telles qu'une flèche de virage, une piste cyclable, une voie d'accès, un ponceau, etc. Le MLM créé par l'utilisateur peut ensuite être appliqué pour détecter ces objets dans n'importe quel modèle iTwin (jumeau numérique). L'objectif était de permettre à n'importe qui de créer facilement un MLM capable de détecter des caractéristiques dans un projet de CAO. Dans le cas de la voiture CLIP du GDOT, nous avons déjà formé un MLM, donc il est inutile de procéder à cette étape. » Pour les projets d'autres clients, un modèle principal est créé, mais tout utilisateur a la voie libre pour augmenter et entraîner l'IA, car les cellules et les symboles varient d'une ville à l'autre ou d'un comté à l'autre.
Phocaz a récemment été mis à l'honneur en tant que finaliste dans la catégorie Ingénierie d'entreprise du prix annuel Year in Infrastructure Going Digital Awards, qui s'est tenu à Singapour les 11 et 12 octobre 2023. Lors du même événement, Julien Moutte, vice-président de la technologie chez Bentley Systems, a fait une démonstration de CLIP en train d'extraire des flèches de virage à gauche à partir de dessins CAO d'autoroute. « Le GDOT a toujours su que ses dessins CAO pouvaient constituer une source importante de données sur les actifs », a affirmé M. Moutte. Toutefois, pour accéder à ces données, il fallait collecter manuellement des milliers de dessins et de conceptions, puis inspecter visuellement chaque actif, ce qui prenait un nombre incalculable d'heures. Pour révéler au grand jour les données obscures, Phocaz a utilisé ProjectWise Powered by iTwin en créant des jumeaux numériques qui sont analysés plus efficacement à l'aide de l'IA avec la détection des caractéristiques et le référencement spatial. Phocaz est allé encore plus loin en utilisant une nouvelle technique d'IA pour combler les lacunes entre les modèles. Ils ont créé un agent d'IA capable de conduire virtuellement le long des voies dans le jumeau numérique en détectant les lignes centrales. Grâce à l'automatisation de l'IA, le processus d'extraction des données n'est plus prohibitif en termes de temps ni de coûts pour leurs clients.
Applications futures
« CLIP est un workflow unique que nous avons mis au point afin de résoudre un problème précis pour nos clients du secteur des transports, a déclaré Mme Ramsey. Nous pouvons l'appliquer dans les conditions et le contexte dans lesquels nous travaillons : les routes. Nous ne pourrions pas forcément l'appliquer à l'architecture, par exemple. Cependant, une fois le contexte compris, il est possible de réfléchir à la manière de collecter des données à partir de ce type de conceptions. »
À quel type d'infrastructure cette approche pourrait-elle être adaptée ? Les services de distribution viennent immédiatement à l'esprit. Il existe des réseaux de transmission et de distribution, ainsi que, dans le cas des réseaux de téléphonie et de communication, des éléments de connectivité fondés sur des règles qui pourraient affiner l'analyse des caractéristiques linéaires et des types d'agencement. En ce qui concerne les services de distribution souterrains, compte tenu de l'impossibilité de localiser physiquement toutes les caractéristiques, l'automatisation de l'extraction des caractéristiques CAO peut s'avérer précieuse. Il n'est pas exclu que ce type de solution permette d'extraire avec succès des caractéristiques de dessins techniques analysés. Cependant, des problèmes subsistent en matière de référence spatiale (échelle et enregistrement des positions), et de qualité et d'exhaustivité des conversions trame-vecteur (même si l'IA a permis de les améliorer aussi).
Alors que les municipalités, les services publics et les campus cherchent à créer des jumeaux numériques, le coût de la collecte de données physiques complètes et des levés de construction constitue un obstacle à l'adoption plus large de cette technologie. Toutefois, rares sont les constructions n'ayant pas fait l'objet d'un dessin de conception et, au moins pour celles qui datent des quatre dernières décennies, il existe probablement des dessins de CAO qui pourraient être exploités de cette manière. Les millions de fichiers CAO existants cachent des trésors inestimables : les données obscures. Il est temps d'en faire un meilleur usage.